Interview PAUL HORNSBY mai 2017,

Questions par Olivier Aubry, Philippe Archambeau, Yves Philippot-Degand,

Traduction par Yves Philippot-Degand,

Bonjour Paul, merci de nous accorder cette interview pour Road To Jacksonville.

Peux-tu tout d’abord te présenter et nous dire de quelle ville tu es issu ?

Je suis né à Elba, Alabama et j’ai été élevé à la campagne, juste à côté d’un petit bled nommé New Brockton, Alabama.

Viens-tu d’une famille musicale ?

Mon Papa jouait du violon traditionnel. Il jouait dans un style connu sous le nom de Old Time Fiddle Music, qu’il ne faut pas confondre avec le Bluegrass.

Quelles ont été tes premières influences musicales, qu’écoutais-tu adolescent à la maison ?

Jusqu’à mes 14 ans, je ne faisais la plupart du temps qu’écouter mon père et ses cousins. Comme je le disais, mon Papa jouait de l’ « old time fiddle » et ses cousins jouaient de la guitare. Ensuite, j’ai aussi commencé à jouer de la guitare et j’écoutais Chet Atkins et tout ce qui se jouait au Grand Ole Opry à la radio le samedi soir. Je crois que le plus gros truc qui m’ait frappé fut la première fois que j’ai entendu The Ventures à la radio. Mec, quand j’ai entendu ce “twanger bar”, j’ai craqué. J’ai eu une expérience spirituelle. Je n’ai jamais été plus proche du Rock & Roll. À peu près à cette époque Lonnie Mack est sorti avec son instrumental, Memphis. Il a eu un énorme effet sur moi. Tu peux voir que mes premières idoles musicales étaient des guitaristes.

Quel a été ton parcours d'apprentissage musical ? As-tu directement commencé par le piano ?

Quand j’avais environ 8 ans, j’ai commencé à prendre des cours de piano. Je voulais prendre ces cours, pas parce que j’aimais particulièrement le piano, mais parce qu’à l’école ça m’a donné la possibilité de sortir de classe.

J’ai bientôt réalisé que je haïssais absolument le piano. J’aurais préféré retourner en classe pour faire de l’arithmétique que de jouer la vieillerie sentimentale que le professeur me faisait jouer. Je n’étais pas du tout autorisé à jouer d’oreille. Tous les professeurs de piano que j’ai eus ont étouffé la moindre véritable capacité créative que j’aurais pu avoir. Bon, je n’ai pas beaucoup appris de ces leçons. Je pense que la seule chose que j’ai retenue de tout ça fut comment jouer une gamme et le bon doigté.

Après les cours de piano, je me suis mis un peu à l’harmonica. Je jouais quelquefois avec mon Papa et sa musique. Je n’y ai jamais trop brillé mais au moins c’était quelque chose que je pouvais faire sans avoir à prendre des cours.

Autour de mes 14 ans, je suis tombé amoureux des guitares. C’est le moment où pour la première fois j’ai pris le fait de jouer au sérieux. J’ai assez vite réalisé que les filles remarquaient les guitaristes. Comme j’étais extrêmement timide, c’était pour moi le moyen de retenir l’attention du sexe opposé.

Je suppose que je suis devenu un guitariste plutôt recherché pour l’époque. Plus tard, je suis parti de l’Université d’Alabama à Tuscaloosa, Alabama et j’ai joué dans divers groupes de Rock and Roll. Puis, vers 1964 j’ai entendu
Eric Burdon et les Animals. Alan Price avec son orgue Vox portable m’a beaucoup impressionné. J’ai pensé que ce clavier était la chose la plus cool que j’aie jamais vue. Le groupe dans lequel j’étais jouait déjà leur House Of The Rising Sun. J’ai pensé que si j’avais un de ces orgues, je pouvais parier que j’étais capable de jouer ce morceau. Rapidement, je me suis acheté un orgue Farfisa Combo Compact. Je me rappelle l’avoir eu le lundi et j’ai joué mon premier concert avec le vendredi. Je me suis très bien débrouillé avec cet engin et j’en ai fait le plus possible avec durant les six mois suivants. Puis je suis tombé sur un album de Jimmy Smith et j’ai découvert l’orgue Hammond. Ça a tout changé. Ça c’était la vraie façon de jouer de l’orgue.

Il m’en fallait un tout de suite.

Donc j’ai continué à jouer de la guitare de l’orgue à peu près à parts égales pendant les 10 années suivantes.

En plus du piano et de la guitare, maîtrises-tu d’autres instruments ? Si oui, lesquels ?

Non, seulement piano/orgue et guitare (en fait si puisqu’il vient de nous avouer se débrouiller aussi à l’harmonica ! NdT.). Je n’ai jamais eu l’âme d’un joueur de synthé ou d’un claviériste à interface midi. Pour les claviers, j’en reste strictement au piano standard et au Hammond B-3.

À ton avis, quelle est l’importance de cette maîtrise instrumentale dans la formation de ton oreille et dans ton rôle de producteur ?

Mon sentiment est que d’avoir les capacités de jouer est très important dans l’activité de production. Il est nécessaire de pouvoir communiquer à leur niveau avec les musiciens. En tant que musicien, j’ai travaillé avec au moins quelques producteurs qui ne pouvaient pas jouer une note. Je n’ai pas réellement ressenti un quelconque respect pour eux.

Peux-tu nous dire comment tu as commencé à jouer en groupe avec les Men-Its (appelés auparavant The 5 Minutes) ? Que signifiait ce nom ?

Un peu auparavant à l’université, j’étais dans un groupe appelé les Pacers. Nous jouions lors de beaucoup de soirées de fraternités universitaires et autres. Au cours de l’été 1964 nous avons tous eu besoin d’un break par rapport à l’école et avec les concerts associés. Nous avons eu l’idée de former un nouveau groupe et de descendre et jouer pour l’été à Pensacola, Floride. Se sont ajoutés Johnny Sandlin à la batterie, Paul Ballenger aux claviers et au chant, Charlie Campbell au sax, et Fred Styles à la basse et au chant. Avec cette bande nous nous sommes rebaptisés The 5 Minutes. Quand le propriétaire du club nous a demandé quel était le nom du groupe, nous avons décidé très vite que nous en avions marre du nom des Pacers. Quelqu’un dans le groupe a dit “Donnez-nous 5 minutes et nous nous présenterons avec un nom”. Voilà tout simplement comment nous avons baptisé le groupe!

Qui composait ce groupe ? Peux-tu nous en dire plus sur Eddie Hinton qui nous a quittés ?

Après l’été en Floride, nous sommes retournés à Tuscaloosa et avons joué les habituels concerts universitaires avec la même composition de groupe. Au début de l’été suivant 1965, nous sommes revenus à Pensacola, en remplaçant Ballenger par Eddie Hinton qui jouait de la guitare et qui chantait.

À la fin de cet été nous sommes à nouveau revenus à Tuscaloosa et avons à nouveau reformé le groupe.

Cette fois, j’étais à la guitare, Bill Connell à la batterie, Eddie Hinton, et Fred Styles. Nous étions revenus à un quatuor.

L’été 1966 qui a suivi, nous étions de retour à Pensacola avec à nouveau Johnny Sandlin à la batterie. Bill Connell avait rejoint Duane et Gregg Allman dans les Allman Joys.

Tu jouais de la guitare dans les Men-Its, quel était votre style avec Eddie Hinton ?

Hinton et moi avions commencé à jouer plus de doubles parties de guitare, quelquefois harmonisées. J’avais senti que nous tenions sur un truc avec ce style et nous avions plus de succès avec cette version du groupe qu’avec les précédentes.

Cette fois, à la place de revenir à Tuscaloosa, nous avons décidé de prendre la route. Fred Styles a laissé tomber et nous avons pris Mabron McKinney (Le Loup). Nous avons signé avec un agent de Nashville et nous avons joué dans une série de clubs à travers le Sud et le Midwest. C’est à ce moment-là que nous avons fait sauter le (5) du nom du groupe et avons changé l’orthographe en MEN-ITS.

Pourquoi n’as-tu presque plus joué de guitare après les Men-Its ?

En fait je jouais autant de guitare que de claviers dans les Hourglass qui sont venus après les MEN-ITS. L’année suivante je suis devenu un musicien de studio à plein temps et nous avions Pete Carr, un guitariste très compétent dans le personnel de Capricorn. J’ai été le seul claviériste dans le secteur pendant un bout de temps jusqu’au moment où j’ai commencé à produire des disques.

Comment en es-tu venu à devenir musicien professionnel et de sessions, notamment aux studios Muscle Schoals ?

J’ai joué des sessions occasionnelles aux Muscle Shoals au cours des ans avant de déménager à Macon pour travailler pour Capricorn.

Le groupe des 5 Minutes avait enregistré un single là-bas en 1964, appelé “The Old Man”. Nous étions beaucoup passés sur les ondes dans les villes universitaires. Ce furent à peu près mes débuts de mon travail en studio. Je travaillais aussi occasionnellement en studio dans un studio appelé Boutwell’s à Birmingham, Alabama.

Tu as joué avec Duane Allman au sein de "Hourglass". Comment vous êtes-vous rencontrés?

Pendant l’été 1965, je faisais un remplacement pour le week-end avec un groupe de Tuscaloosa là-bas à Dauphne Island, à côté de Mobile. Un des membres du groupe était parti en ville à un club local à Mobile et est revenu en délirant sur un groupe appelé les Allman Joys qu’ils y avaient entendu. Ils ont invité Duane et Gregg Allman à venir nous écouter le dimanche après-midi dans l’île. Ça a été notre première rencontre. Peu après les Allman ont commencé à jouer en concert à Tuscaloosa et j’en suis finalement arrivé à les entendre là. Je me souviens de Duane et Gregg arrivant chez moi quand ils étaient en ville et de moi montrant à Gregg mon orgue Hammond.

On pouvait voir qu’il s’était immédiatement épris de l’instrument. À cette époque, il jouait sur un Vox portable.

Comment se sont montés les Hourglass ? D’où vient ce nom ?

Après quelques mois sur la route, les MEN-ITS se sont séparés et les Allman Joys en ont fait autant. Comme nous étions devenus amis auparavant nous avons pu fusionner les deux groupes au printemps 1967. Après quelques semaines de répétition, nous avons donné notre premier concert dans un endroit du nom de Pepe’s-a-go-go à St. Louis. Nous avons joué dans les alentours de St. Louis pendant environ un mois durant lequel le Nitty Gritty Dirt Band et leur manager sont passés par la ville et nous ont entendus. Bill McEuen, leur manager nous a parlé de déménager à Los Angeles. En juin 1967, nous avions déménagé en Californie et il est devenu notre manager.

À cette époque le groupe se composait alors de Duane Allman à la guitare solo, Gregg Allman à la guitare rythmique et à l’orgue/piano, Johnny Sandlin à la batterie, moi-même à la guitare et à l’orgue/piano, Mabron McKinney était à la basse et sera remplacé plus tard par Pete Carr. Gregg et moi avions un Hammond et un piano Wurlitzer installés côte à côte et profitions de ces deux claviers, chacun d’entre nous jouant aussi de la guitare.

Quel style de musique jouiez-vous dans les Hourglass ?

Nous avons été signés sur Liberty Records et avons fait deux albums tandis que nous étions là-bas. En y repensant, je suppose que nous avons été le premier groupe du style “Southern Rock”. Bien que l’expression n’ait pas encore été en usage. En étant si différents de tout ce qui était joué alors que le label ne savait pas vraiment quoi faire avec nous. Malheureusement, la direction qu’ils nous ont fait prendre ne nous a pas conduits au succès. Nous nous sommes séparés un peu plus d’un an après que nous y soyons allés.

Musicalement et humainement, quel genre d'homme était Duane Allman ?

Duane Allman a peut-être été le seul véritable génie que j’aie jamais personnellement connu. Il était brillant, pas seulement comme guitariste, mais il avait capacités et esprit innovant et était vraiment un original américain. Je pense que s’il n’était pas devenu un super guitariste, il serait devenu quelqu’un d’aussi connu.

Après la séparation des Hourglass, qu’as-tu fait ?

Je suis revenu à Tuscaloosa, qui était l’endroit où j’avais démarré professionnellement. J’ai commencé à fréquenter des mecs qui surtout jouaient en résidence dans un endroit appelé le Chef Lounge (Salon du Chef, NdT.). Tuscaloosa regorgeait de super musiciens à cette époque et ils sont quasiment tous passés par ce groupe. Jusqu’à un certain point on avait chaque week-end un personnel différent dans la composition du groupe.

Une version qui venait de se former comptait dans ses rangs un jeune pianiste qui n’avait à l’époque que 16 ans, Chuck Leavell. Il jouait sur un piano électrique Wurlitzer, j’étais à la guitare et au Hammond, et parmi les plus connus des autres musiciens il y avait Bill Stewart à la batterie (ensuite musicien de session pour Capricorn) et Charlie Hayward à la basse (qui a ensuite joué avec le Charlie Daniels Band). Au niveau instrumental, nous avions la même formule dans le groupe (qui s’appelait le South Camp) que nous avions avec les Hourglass.

Comment en es-tu venu à produire à des disques aux Studios Capricorn, et peux-tu nous en dire plus sur le premier d’entre eux pour le groupe appelé Sundown ?

Les choses arrivaient très vite à cette époque. Durant mon année de retour à Tuscaloosa avec le South Camp, je me suis rendu aux Muscle Shoals pour jouer sur quelques démos avec Duane Allman. Il avait déménagé là-bas après les Hourglass. Pendant ce déplacement, j’ai rencontré Phil Walden qui est devenu le manager de Duane. Il m’a embauché pour me rendre à Macon, Ga. (Géorgie, NdT.) et travailler dans son Studio Capricorn pendant l’été 1969.

Au départ j’étais le pianiste de studio résident, accompagnant différents numéros que Walden avait sous contrat. Dans l’année, on m’a demandé de produire un groupe local de Macon qui s’appelait Boogie Chillun.

Pendant l’enregistrement de cet album, le groupe s’est séparé et reformé 2 ou 3 fois. J’ai finalement appelé Chuck Leavell et quelques autres de mes amis de Tuscaloosa et leur ai demandé de venir et de terminer l’album. La version finale de l’album a vu le nom du groupe changer pour Sundown.

Je ne vais pas te faire chroniquer chaque disque que tu as produit, mais ton second a été celui du Eric Quincy Tate, peux-tu nous en dire un peu plus ?

Eric Quincey Tate était un groupe du Texas qui s’était transféré à Atlanta. Tony Joe White les avait trouvés et amenés à Capricorn et le sort m’a désigné pour les produire. Ils étaient un super groupe de bar qui n’était jamais sorti de ce moule. Le premier album que j’ai fait contenait quelques super morceaux que le groupe avait élaborés et joués depuis plusieurs années. Il fut acclamé par la critique comme ils disent et vendu en conséquence. Cependant, lorsque fut venu le moment de l’album suivant, le groupe ne put juste se présenter avec assez de matériel pour égaler leur précédent effort. Les choses bougeaient si vite à cette époque que le label ne pouvait juste pas attendre qu’ils se présentent avec la suite.

Tu as produit et joué sur plusieurs albums du Marshall Tucker Band. Quelles relations avais-tu avec ces musiciens?

Ils ont été mon troisième effort de production. Au crédit de Phil Walden, il a vraiment vu quelque chose dans ce groupe. Ils avaient auparavant enregistré quelques démos aux Muscle Shoals dont rien n’était sorti. Johnny Sandlin les a fait rentrer au Studio Capricorn et rien n’en est sorti non plus. Sans rien lâcher, Walden m’a confié le groupe et j’ai été ravi d’être désigné pour leur premier LP. Je suppose que nous étions la bonne combinaison car leur album a tout de suite fait un tabac.

Where All Belong a une partie studio et l’autre live, cela est-il dû au fait que le groupe donnait sa quintessence
sur scène?

Je suppose qu’en fin de compte tous les groupes ont envie d’enregistrer un album live. En 1974 le Marshall Tucker Band s’était déjà apporté la preuve qu’il était un super groupe live. Leur énergie avait du mal à être maîtrisée en studio. Toy Caldwell était déjà un song writer prolifique qui avait élaboré beaucoup de super morceaux. Nous avons décidé d’avoir le meilleur des deux mondes en faisant un double album
- un disque live avec des versions de leurs meilleurs morceaux des précédents LP et

- un disque studio avec du nouveau matériel sortant tout chaud de la plume de Toy Caldwell.
Cet album s’avère être personellement mon favori et, pour ce que j’en pense et de tout ce qu’ils ont fait, l’album définitif du Marshall Tucker Band.

As-tu des anecdotes concernant Toy Caldwell?

Ce bon vieux Toy était comme un “éléphant dans un magasin de porcelaine” dans tout ce qu’il faisait. Il n’entrait pas dans une pièce, il percutait une pièce. Encore plus grand et plein de vie, Toy n’était pas compliqué, mais était pourtant loin d’être simple. Un vrai Fils Du Sud. Juste un individu hilarant. Il me manque chaque jour.

Toy Caldwell jouait-il vraiment uniquement avec le pouce et avait-il un son aussi fort qu’on le dit ?

Oui, Toy et son frère Tommy, qui jouait de la basse, ils jouaient tous deux avec leurs pouces. On m’a dit que leur père leur avait enseigné de jouer de cette façon.

Comment procédais-tu dans ton travail de producteur, surtout quand il y avait de nombreux invités ?

Et bien, le rôle de chaque musicien invité était planifié à l’avance. La plupart du temps, chaque “invité” avait déjà assisté à un concert sur scène et savait ce qu’ils (les Marshall Tucker, NdT.) voulaient faire à l’arrivée des dates de studio.

Quels sont tes meilleurs souvenirs de tous ces enregistrements ?

Juste la camaraderie qui existait alors au sein des musiciens de rock sudiste. Je pense que ça existe encore aujourd’hui, une sorte de fraternité. Peut-être que c’est un truc sudiste.

Tu as également travaillé avec Charlie Daniels et Grinderswitch, comment as-tu rencontré Charlie Daniels ?

Charlie a été signé à la Paragon Agency de Macon et son groupe a fait partie de beaucoup de spectacles combinés avec d’autres rockers sudistes. Il est devenu ami avec le Marshall Tucker Band et il se retrouvait souvent à faire le bœuf avec eux lors des spectacles. Charlie a commencé à venir comme invité sur quelques albums du Tucker. C’est ainsi que nous sommes devenus amis et sa musique m’allait comme un gant.

Tu as travaillé sur Fire On The Mountain du Charlie Daniels Band, penses-tu que ce disque a changé le groupe, notamment avec l’usage du violon ?

À l’automne 1974, nous avons enregistré notre premier album ensemble, Fire On The Mountain. C’était son plus grand enregistrement jusque là et il s’est avéré être le plus gros enregistrement de ma carrière de producteur.

La première fois que j’ai entendu parler de The Charlie Daniels Band avant de commencer cet album, je suis passé à Tuscaloosa. Le groupe jouait beaucoup de matériel sonnant Allman Brothers. Ils fonctionnaient même avec 2 batteurs. J’ai pensé qu’ils étaient très bons mais qu’ils n’apportaient rien de particulier jusqu’à leur dernier morceau. Sur leur rappel, Charlie a sorti le violon pour la première fois de la soirée et a commencé à jouer Orange Blossom Special. Le public est devenu fou. Je me suis demandé pourquoi il ne l’avait pas sorti plus tôt. Je lui ai indiqué que mettre en vedette ce violon était ce qu’il fallait faire.

En quelques semaines, nous étions de retour au Studio Capricorn à travailler sur ce qui allait devenir l’album Fire On The Mountain. Pour mettre le violon en vedette, nous avons fait un petit instrumental que nous avons provisoirement appelé “Fiddle Boogie” (Le boogie du violon, NdT.). Vers le deuxième jour des sessions, j’ai fait remarquer à Charlie qu’il était dommage qu’il n’eût pas de paroles pour. Pour moi, il ne sonnait pas avec assez de force pour constituer par lui-même une chanson. Je me souviens du dernier jour d’enregistrement, et après bien des exhortations de ma part, Charlie se pointa avec un bloc-notes jaune. Il a dit “Passe la bande et regarde ce que tu penses de ces paroles”. Il a commencé à chanter des vers comme “Ole Lynyrd Skynrd’s picking down in Jacksonville” et “the Tucker boys are cooking in Caroline”, etc. C’est le moment où est né The South’s Gonna Do It.

Quels souvenirs gardes-tu de ces musiciens? En croises-tu encore parfois pour des séances ou es-tu invité à les rejoindre sur scène ?

Je vois parfois Charlie Daniel et Marshall Tucker. J’ai assisté l’an dernier avec les deux groupes à la fête foraine de l’état de Géorgie. Je vois aussi Jimmy Hall de Wet Willie assez souvent et je fais le bœuf avec lui.

Comment as-tu été amené à travailler avec Two Guns?

Two Guns était un groupe ramené de l’Oklahoma par le frère de Phil Walden, Alan. Ils avaient un duo de guitaristes compétents, d’où le nom. Malheureusement, ils doivent avoir été le dernier groupe à enregistrer pour Capricorn avant la banqueroute. Je pense qu’ils auraient pu aller plus loin si cela n’avait pas été un moment difficile du côté du label.

Sais-tu ce que sont devenus les membres de ce groupe?

Je ne suis pas resté en contact avec eux et je n’ai parlé que peu de fois avec eux au cours des années.

Tu as aussi été le producteur des Volunteer Jams, comment se passaient les enregistrements ?

C’était des projets énormes où jouait le “Who’s Who” des artistes. C’était une vraie prise de tête d’essayer d’en tirer quelques prises live. Pendant les premières éditions, il y avait quelque chose comme 10 guitaristes et 5 joueurs de tambourin y allant à fond... Quand tu récupérais les bandes au studio, tu n’avais plus qu’à essayer de choisir lequel tu voulais écouter et le monter dans le mix. J’aurais préféré n’avoir été qu’un membre du public ou avoir joué sur scène plutôt que d’être chargé de ça.

Selon toi, quels sont les meilleurs orgues et pianos sur lesquels tu ais joué ?

C’est facile ça. J’aime un piano à queue Yamaha ou Steinway. Quelquefois un piano électrique Wurlitzer pour un son vintage “Ray Charles”. Pour la scène j’ai un Yamaha digital que j’aime beaucoup. Comme orgue, il faut un Hammond B-3, ou C-3, ce qui est essentiellement la même chose. Un Hammond A est bien aussi.

Tu joues prioritairement du piano, plutôt que de l’orgue, est-ce volontaire ? Es-tu plus à l’aise avec le toucher sensitif du piano ?

En fait, les premiers claviers dont j’ai joué professionnellement ont été des orgues. Je me suis toujours considéré avant tout comme un organiste. Ensuite j’ai fait la connaissance de Dr. John, avec qui j’ai tourné un moment. Il m’a ouvert les yeux en ce qui concerne la façon de jouer du piano.

J’en viens à ton premier disque appelé Red Hot, Vive le Boogie !, où et comment a-t-il été enregistré ?

Il y a quelques années, on m’a demandé d’être la tête d’affiche d’un festival de blues à Dothan, Alabama à côté d’où j’ai grandi. Pendant quelques mois j’ai travaillé plusieurs morceaux où je pensais pouvoir m’en tirer vocalement. Ils formaient une entreprise ambitieuse d’autant qu’il fallait aussi les interpréter au piano. Le show se déroula si bien qu’on m’a fait valoir la possibilité de mettre les morceaux sur CD.

Cette fois j’ai pris le processus inverse de l’enregistrement. À la place de définir les pistes musicales et ensuite ajouter en dernier mes parties de clavier, comme j’avais toujours fait lorsque j’enregistrais d’autres artistes, j’ai décidé d’entamer avec d’abord le piano et la batterie.

Tout le reste a été ajouté après. De cette façon les lignes de basse suivaient ma main gauche au piano. Cette main gauche est vraiment la chose importante pour ce genre de musique sur ce CD.

Pour nous, ce disque est un vrai hymne d’amour à la musique sudiste, comme ce titre de Ray Charles « Hallelujah I Just Love Her So », ou Fats Domino sur « I’m Ready », est-ce aussi ton impression ?

J’aime tout ce que Ray Charles a fait. L’influence New Orleans a toujours été aussi dans mon sang. Avec l’impression Créole-New Orleans-Mardi Gras de l’ensemble, nous en sommes arrivés au sous-titre “Vive le Boogie”.

Ta version de « Corinna, Corinna » est plus ralentie que celle de Johnny Carroll, qu’est-ce qui t’a orienté vers cela ?

C’était juste un vieux morceau qui est joué depuis 100 ans. J’en ai écouté d’innombrables versions et nous lui en avons fait voir de toutes les couleurs jusqu’à ce qu’on arrive à se retrouver pour lui avec une sorte d’impression New Orleans-boogie .

Le boogie endiablé « Red Hot » (popularisé par Billy Lee Riley puis par Robert Gordon) met le feu à cet album, peut-on dire que tu t’es fait plaisir en invitant tes amis, entre autres Bill Stewart, Lee Roy Parnell, Chris Hicks, et bien d’autres ?

C’était à peu près la même histoire pour celui-là. Nous avons pris ce qui était un morceau Rock-a-Billy et y avons ajouté la main gauche du piano et en avons fait une sorte de morceau Rock-a-Boogie. Une sorte d’hybride.

Connais-tu Blackberry Smoke ou Whiskey Myers ? Les as-tu vus en concert ?

Je connais un peu Blackberry Smoke et je les aime beaucoup. Je ne les ai pas encore vus live mais j’ai choppé ce qu’ils font sur YouTube.

Si un jeune groupe vient te voir, que lui conseillerais-tu de faire pour s’améliorer en 2017 ? Comment l’aiderais-tu à choisir un bon manager et un bon producteur ?

Je leur conseillerais de trouver un son original. C’est plus facile à dire qu’à faire. C’est difficile de ne pas essayer d’imiter vos idoles mais vous devez le faire. Un jour il vous arrivera juste de taper dans ce créneau et vous saurez que vous l’aurez trouvé.

Dernière et traditionnelle question ici, si tu devais séjourner sur une île déserte, quels sont les cinq disques que tu emmènerais avec toi ?

N’importe quoi de Ray Charles ou Dr. John. Et aussi Red Hot de Paul Hornsby :)

Philippe Archambeau & Y. Philippot-Degand
Traduction : Y. Philippot-Degand

 

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